Pêcheur à la ligne

 Pour beaucoup de pêcheurs la saison de pêche commence à la mi-mars.
Dès le deuxième samedi du mois, les torrents, les gaves, les ruisseaux, toute eau claire suffisamment oxygénée a vu l’arrivée massive des pêcheurs de truite. Cela ne dure qu’un jour  et le lendemain  de l’Ouverture les berges des rivières de 1ere catégorie redeviennent paisibles et s’abandonnent aux pêcheurs du coin.
Le 1er mai, c’est l’ouverture de la pêche aux carnassiers. Entendez par là, perches, brochets, sandres et autres black-bass. En réalité, c’est devenu l’ouverture générale car on peut tout pêcher.
Le moindre rayon de soleil et la vie est partout. Dans les champs, dans les prés, dans les bois et, bien sûr, dans la rivière. Les poissons ont passé l’hiver enfouis dans les vases ou cachés dans les racines des aulnes. La chaleur de l’eau qui augmente, la nécessité de se refaire une santé après un jeûne prolongé et c’est la cohue. Ça nage, ça glisse, ça plonge et ça saute. Les alevins frétillent en bande. La jeunesse a de l’appétit.
Le brochet aussi. Il est impossible de le confondre avec un autre poisson. Il est  mince, long, fuselé comme un bolide de course. Les épaules rentrées, il guette sa proie, immobile, de ses petits yeux cruels qu’il porte haut, au-dessus de la tête.


A l’affût, raide comme un bois mort, les nageoires frémissantes, invisible sous la souche immergée d’un vieil arbre blessé, le temps ne compte pas. Il est en embuscade et, dans un instant, tel l’ogre de la rivière, il fondra sur l’insouciant goujon en goguette.
L’automne et le printemps, ces deux demi-saisons sont périodes bénies pour le pêcheur de brochet. L’automne, parce que le garde-manger se fait rare. A l’approche des grands froids, les poissons disparaissent voluptueusement dans le lit de la rivière, ou ils sombrent dans quelque invisible trou noir, afin d’y prendre leurs quartiers d’hiver. Le brochet a faim.
Dans un mouvement contraire, l’appel gai des beaux jours  et le fretin  jaillit de son repaire et envahit les herbiers. C’est en raison de  cette rareté et de cette abondance que le leurre du pêcheur aura les meilleures chance d’être saisi. Le brochet a toujours faim.

A.D. Labaye